Portrait de lauréat : Delphine Delacour
Rencontre avec Delphine Delacour, première lauréate de notre Prix de Recherche Maladies Rares
Biologiste et spécialiste des pathologies intestinales, nous avions connu Delphine Delacour comme chercheuse à l’Institut Monod à Paris. Sept ans et un prix de 500 000 euros plus tard, nous la retrouvons à l’Institut de Biologie du Développement de Marseille (IBDM) où elle a pris la direction d’une équipe de recherche en 2023. Depuis 2017, qu’est devenue la toute première lauréate de notre Prix de Recherche Maladies Rares ?
Delphine Delacour, avant toute chose, pourriez-vous nous rappeler quels étaient les objectifs de votre projet de recherche ?
Nous avions une double ambition : d’une part, mener des travaux en biologie cellulaire pour d’une part caractériser la Dysplasie Epithéliale Intestinale (DEI), une maladie intestinale rare, et d’autre part, développer une puce intestinale biomimétique pour mener des études en laboratoire.
Ces travaux de recherche fondamentale ont été menés par une équipe pluridisciplinaire associant des biologistes, des biophysiciens et des cliniciens de l’Institut Jacques Monod et de l’hôpital Necker-Enfants Malades et ont associé une start-up.
En quoi consiste la Dysplasie Epithéliale Intestinale ?
Il s’agit d’une malformation du tissu intestinal qui entraîne la malabsorption des nutriments et une insuffisance intestinale sévère. Une anomalie tissulaire se crée dès la naissance et continue à se développer chez l’enfant. La maladie s’installe donc dès le début de la vie chez le bébé, entrainant des diarrhées sévères et des risques importants de malnutrition. Les nourrissons sont placés très rapidement sous nutrition artificielle par intraveineuse. Cette maladie est souvent létale, mais une petite partie des patients va réussir à s’alimenter à peu près normalement à la fin de l’adolescence.
Notre soutien de cinq ans s’est achevé en 2022. Quels sont les résultats du projet ?
Ce projet de recherche fondamentale nous a permis de comprendre les origines du disfonctionnement des entérocytes qui absorbent les nutriments et plus récemment des cellules souches intestinales dans la DEI, et nous avons montré que les cellules intestinales ne s’arrangent pas correctement et ne communiquent pas bien entre elles. De plus, on trouve chez tous les patients contrôles un petit groupement de cellules intestinales bien organisées au fond du tissu intestinal, et chez les patients touchés par la DEI, ce cluster est trois fois plus gros que chez les personnes saines. Nous avons ainsi réussi à démontrer le rôle central du gène EpCAM dans la régulation des cellules épithéliales intestinales, ce qui représente une avancée particulièrement importante dans la compréhension de la maladie.
En complément, nous avons développé une méthode pour produire des systèmes de cultures primaires d’organoïdes sur des puces qui miment l’épithélium intestinal. L’utilisation de puces biométriques nous a aidé à comprendre la désorganisation des cellules in vivo dans les intestins des patients DEI. Une puce en 3 dimensions mime la géométrie du tissu intestinal de souris ; une autre puce en 2 dimensions mime l’organisation de l’intestin en reproduisant le fonctionnement des cellules intestinales. Aujourd’hui, une start-up souhaite commercialiser cette puce 2D.
Le prix a également permis de lancer la carrière de jeunes chercheurs. Grâce à ce projet, trois étudiants ont pu réaliser une thèse. Deux doctorants ont soutenu leur thèse en 2020 et 2021, et sont maintenant chercheurs dans les biotechnologies. Un autre doctorant va soutenir en 2024 et il espère poursuivre sa carrière dans la recherche fondamentale.
Ces résultats ont-ils eu des effets sur la vie des patients ?
Mieux connaître la maladie permet de mieux accompagner les patients. Nos travaux récents montrent que la DEI peut s’aggraver vers des dysplasies sévères, les cliniciens vont suivre les jeunes patients plus régulièrement afin de prévenir les complications à l’adolescence et les risques de dérive pathologique. Le parcours de soins des jeunes malades s’est donc considérablement amélioré.
D’un côté plus personnel, quel a été l’impact de ce prix sur votre carrière ?
En cinq ans, je suis passée d’un statut de chercheuse à celui de directrice de recherche. J’ai ouvert ma propre équipe à l’IBDM Marseille en juin 2023 suite à un appel à candidature international, que j’ai remporté.
L’équipe que je dirige fête ses un an cette année et est composée de huit personnes. La moitié travaille sur la DEI et nous avons reçu des financements du CNRS, de l’ANR, de l’INCA et de la Fondation ARC pour poursuivre nos travaux. Nous continuons à utiliser les puces biomimétiques dans nos travaux.
Notre Prix de Recherche Maladies Rares, qui était jusqu’ici remis tous les cinq ans, devient un prix biennal. Avez-vous un message pour les futurs candidats ?
Ce prix a représenté pour moi à la fois une très belle reconnaissance et un accélérateur dans ma carrière de chercheuse. Quand j’ai candidaté, je n’y croyais pas vraiment. Avec le recul, j’encourage vivement les jeunes chercheurs à candidater car il représente un vrai tremplin dans une carrière de chercheur.
Delphine Delacour, lauréate 2017 du Prix de recherche maladies rares